Au Cameroun, la femme entrepreneure est un mythe qui donne toujours lieu à de nombreuses interrogations. Entre fantasme et préjugés, elle peut être appréciée pour son aura professionnelle, critiquée dans son rôle au foyer, et adulée pour sa place dans la famille élargie. Cependant, on est loin d’imaginer son vécu au quotidien. En 2002, lorsqu’ à peine ses études achevées, elle se retrouve à la tête de l’entreprise éducative familiale, Françoise Essangui est loin de se douter du parcours du combattant qui sera le sien. Femme Update a rencontré cette jeune dame discrète âgée de 37 ans, promotrice d’un groupe scolaire de 3 écoles. Parcours d’une mère et chef d’entreprise en 4 étapes. |
De mère en fille, une relation unique.
“En 1998, lorsqu’elle quitte le Cameroun pour poursuivre ses études en Italie, elle ne pense à rien d’autre qu’une carrière de journaliste. ‘’Ce métier me fascine et ma première année universitaire en Faculté de sciences de la communication, dans la ville de Sienne en Italie est un pur bonheur”. C’est à l’âge de 17 ans que Françoise quitte sa famille pour la 1ère fois, pour Dakar au Sénégal, où un oncle et des cousins l’attendent pour une année scolaire dans un collège privé catholique de la place. A cette époque, le Sénégal semble le passage obligé pour de nombreux parents camerounais qui voudraient envoyer leurs enfants en Europe après le Bac. Il semble qu’on y obtienne plus facilement des visas. Effectivement, après 6 mois de cours d’italien, son baccalauréat en poche elle obtient un visa pour l’Italie pour une 1ère année en sciences de la communication. 4 ans plus tard, un événement douloureux la force à s’installer en France, pour terminer ses études. Elle retrouve sa mère dans des circonstances difficiles, mais aura l’occasion d’apprécier de nouveau le bonheur de cette chaleur maternelle dont elle aura été sevrée pendant quelques années. “ J’ai appris que ma mère avait un cancer du sein dans une conversation assez anodine. Ma mère qui avait horreur d’inquiéter son entourage avait gardé ce secret quelques années et ne m’avait parlé de son opération que des mois plus tard. C’est étrange et aussi admirable comme nos mamans africaines ont le don de porter de si lourds fardeaux avec beaucoup de dignité”. Pour Françoise, s’annonce une période de tourmente, et de course à la montre. Sa vie se résume à ce moment à des allées et venues entre la Fac à Paris et le Centre René Huguenin où sa mère suit un traitement. Des moments intenses de retrouvailles et de bonheur simple, souvent teintés d’une crainte sourde, celle de perdre un être cher plus tôt qu’on ne le voudrait. “ J’ai toujours eu une relation très fusionnelle avec ma mère. Pour moi, c’était l’être le plus aimant au monde, qui avait consenti à de nombreux sacrifices pour ses frères et sœurs et les enfants de la famille. J’avais une admiration totale pour cette femme modèle et la perdre m’a sans doute infligé le plus gros chagrin de ma vie”.
De la Communication à l’Education
A l’âge de 23 ans, après le décès de sa maman, dame Françoise Essangui se retrouve à la tête de 3 jeunes écoles primaires et maternelles. Une responsabilité lourde à porter à un âge où l’on est encore insouciant et qu’on voudrait surtout profiter de la vie. De retour dans sa ville natale Yaoundé, une lourde tâche l’attend mais aussi des regards lourds d’appréhension. “ A mon arrivée, j’avais les yeux hagards, j’étais perdue au milieu de cette foule, ne sachant pas ce qui m’attendait exactement, mais j’avais déjà la détermination nécessaire, celle de rendre honneur à la mémoire de ma feue mère” affirme t-elle. La tâche s’avère effectivement lourde pour cette jeune femme qui ne connaît rien aux rouages de la bureaucratie camerounaise. Entre démarches administratives pour l’obtention de son agrément en tant que Fondatrice, et les réunions dans les écoles pour rassurer le personnel, elle a du mal à trouver un temps de répits. “ Vous savez en Afrique, lorsqu’un patron meurt, les rumeurs commencent à circuler, tout le monde se dit que l’entreprise va fermer, la famille va se déchirer pour les biens et les employés seront à la rue. C’est une catastrophe que je voulais à tout prix éviter. Pour moi, la meilleure façon de faire mon deuil était de sauver cet héritage de la déchéance.” Précise-t-elle avec un sourire sibyllin. Sa carrière journalistique joyeusement entamée, lui semble à présent bien lointaine. Mais elle a la conviction qu’elle saura embrasser ces deux profils et donner le meilleur d’elle même. En tant que pigiste, elle contribuera pour des magazines comme AMINA, TALOUA, LE JOURNAL LITTÉRAIRE.
Entre deux avions et deux cultures
Françoise s’est installée au Canada en 2008 avec son conjoint. Surnommée “la globetrooteuse” par ses proches, elle semble avoir fait du voyage, un outil incontournable de sa vie. “ j’ai toujours aimé les voyages, mais lorsque j’ai dû retrouver mon futur époux au Canada, C’était assez pénible car le Canada est à plus de 10.000 kilomètres du Cameroun. J’étais déjà engagée dans plusieurs projets sur place et j’attendais mon premier bébé. Je pensais également qu’il serait difficile de m’intégrer dans cette société américaine. Mais évidemment, l’amour a été plus fort que tout”. Aujourd’hui, épouse et mère de deux enfants, elle avoue qu’il est difficile de gérer deux vies qui ne se ressemblent pas du tout. Très souvent entre deux avions, elle s’efforce de trouver des compromis pour gérer son entreprise au Cameroun et sa vie professionnelle et familiale au Canada. “Je voudrais tout d’abord dire qu’il s’agit d’un choix assez complexe qui nécessite la participation de l’autre conjoint. Je suis souvent partie pour des périodes de 4 à 6 mois lorsque j’avais un chantier, parfois avec un bébé de 8 mois sur les bras. J’ai toujours apprécié que mon mari accepte et me soutienne dans ces périodes de séparation involontaire.”
Le choix d’une présence sur le terrain en Afrique aura des conséquences sur sa vie professionnelle au Canada. Après deux contrats dans des entreprises de marketing, elle a préféré se mettre à son propre compte afin de mieux gérer son emploi du temps et de l’ajuster à ses autres responsabilités. Elle est aujourd’hui gestionnaire de projets éducatifs et d’échange culturels entre établissements canadiens dans la région de l’Ontario. En 2012, après la création de sa garderie La Marine Daycare, elle crée un organisme caritatif PETI Angels dont la mission est la promotion de l’éducation en Afrique, l’assistance aux enfants à besoins spéciaux et les échanges culturels entre écoles africaines et canadiennes. A cet effet, elle organise chaque année, une exposition dans une école élémentaire de la ville de Toronto dans le cadre de la célébration du Mois de l’Histoire des Noirs (Black History Month) . “ C’est un événement que je trouve à chacune des occasions, très exaltant. Les jeunes canadiens ne connaissent pas vraiment l’Afrique en dehors de ses clichés de pauvreté. Ils découvrent avec beaucoup d’enthousiasme notre culture et ses riches facettes. D’autre part, les enfants d’origine africaine sont fiers de montrer une Afrique en couleurs à leurs petits camarades”.
Femme d’affaires et éducatrice
Au siège de son entreprise à l’école Ste Thérèse (derrière SCB ~montée Camair), l’enthousiasme est toujours au comble lorsque “madame la fondatrice”, comme l’appelle ses enseignants, arrive au Cameroun. Son personnel l’accueille comme une maman qui à longtemps séjourné loin de ses enfants. Les déplacements se font 2 à 3 fois par an, pour assister aux événements tels l’Arbre de Noël en décembre, la fête de fin d’année en juin et la préparation de la rentrée scolaire. L’ambiance entre Françoise et son personnel (un effectif de 60 personnes) est assez bonne enfant car la patronne n’aime pas les salamalecs. Pour elle, il s’agit avant tout d’une grande famille, bien qu’on y retrouve toutes les ethnies et confessions religieuses. Elle en a d’ailleurs fait un slogan “Groupe scolaire PETI- une famille d’éducateurs”. Elle précise en souriant: “Les rapports entre patron et employés ne sont pas toujours aisés au Cameroun. On doit sans cesse agiter le bâton et la carotte car parfois la familiarité entraîne le mépris. Mais j’ai une histoire particulière avec mon personnel. Je suis arrivée jeune à la tête de cette entreprise, et nombreux d’entre eux m’ont soutenu et m’ont aidé à continuer à bâtir. Certains m’ont guidé à travers leur expérience de terrain. Nous avons mené de nombreuses batailles ensemble. Et surtout, que je sois sur place ou à l’étranger nous avons toujours d’excellents résultats, ce qui prouve qu’ils sont loyaux et rigoureux même en mon absence. C’est un cadeau précieux!”. En effet, un regard jeté sur le tableau des résultats, nous apprend que l’école Ste Thérèse vient d’enregistrer 100% au concours d’entrée en 6e et au CEP 2015 pour la 13e année consécutive, et les deux autres écoles du groupe (École Bernadette Courbe et Rois Mages) affichent le même succès.
Cette rentrée scolaire se prépare dans la frénésie habituelle. Ayant fait le choix d’une communication discrète, la publicité se fait au porte à porte, à travers quelques banderoles et en relançant surtout des parents d’élèves déjà conquis par les résultats et le sérieux des établissements PETI. Elle affirme ainsi: “pour moi, le plus important n’est pas une publicité tapageuse mais distante, mais plutôt porter un message aux parents, garder un rapport de proximité avec eux et m’assurer que les quelques 1200 enfants qui me seront confiés chaque année, ressortent de leur cursus primaire, la tête bien pleine”. Quand on lui parle de concurrence, elle reconnaît qu’aujourd’hui le paysage éducatif est dynamique et que l’offre s’intensifie. Mais pour dame Essangui, l’éducation bien qu’étant devenu un business, est avant tout une mission, celle de contribuer à la construction de son pays le Cameroun.
Pour plus d’infos consulter la page www.grouoescolairepeti.com
MLT